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Plongée en eaux troubles

Publié le : 08/07/2017 - Auteur : Francis LE GUEN
Catégories : Histoires de plongée , Voyages plongée

Plongée en eaux troubles

Des centaines de méduses pulsaient autour de nous dans l’eau verte. Venues du fond, elles décollaient vers la surface, à la recherche du soleil, avant de sonder de nouveau, en un ballet qu’on devinait millénaire. Dans les eaux saumâtres de ce lac intérieur, une faune marine étrange prospérait, adaptée depuis des milliers d’années à ce milieu tropical, hybride de jungle, de mer et de pluie. Sur les arches immergées des palétuviers, sur les branches plongeantes des grands arbres qu’on voyait à peine ridés à travers l’eau : tout était couvert d’éponges multicolores, de coraux mous, de fantômes gélatineux. Ce jour là, les méduses poussaient dans les arbres…


C’était à Bornéo. Nous achevions les dernières prises de vue du film « L’origine des mondes » dans le lac aux méduses de Kakhaban. Avant de rebrousser chemin vers la mer où nous attendait le bateau. Chargés de tout l’équipement, en équilibre sur des poutres de bois plus ou moins branlantes au dessus d’un karst calcaire coupant comme des lames de rasoir…

On plonge le plus souvent en eau de mer. Plus rarement en eau douce. Mais combien d’entre vous ont plongé dans les deux, voire les trois, en même temps ? Je veux parler de ces mélanges d’eaux, de ces étonnants changements de phases rencontrés parfois au sein du milieu : haloclines, thermoclines… Et l’argile liquide, plus ou moins compacte, le milieu peut-être le plus stressant de tous ?



Pas d’efforts après la plongée !
La première fois que j’ai été confronté à "l'enfer de la boue", c’était au milieu des années 70, à la dure.  Dans « la rivière blanche », une rivière souterraine recoupée par hasard par les carrières de craie de Caumont, près de Rouen. Si bien que l’expédition plongée commençait par une ballade à pied  croulant sous les sacs de matériel dans de vastes galeries sentant le champignon. Cette situation idyllique prenait rapidement fin à l’entrée de la grotte naturelle qui s’ouvrait sur une paroi. Désormais, la progression se faisait à quatre pattes et souvent en rampant. Quand j’y repense…
 
La galerie est à demi remplie d’une argile liquide et collante qui nous aspire avec des bruits de succion et dans laquelle il est bien difficile de se frayer un chemin. D’autant que chaque plongeur transporte deux bouteilles douze litres et un troisième sac avec le reste de l’équipement. Tout est conditionné dans des kit-bags spéléo allongés et tractés par une cordelette reliée au baudrier. Le train progresse ainsi avec l’élégance de la chair à saucisse à l’entrée du boyau. Mais, inévitablement, des sangles se coincent dans les aspérités et il faut reculer, se dégager à tâtons. L’autre caractéristique intéressante du réseau est la présence, cachés sous l’argile, de rognons de silex qui s’y entendent à merveille pour désarticuler les genoux. Nous ressortons invariablement  de ces escapades couverts de bleus, comme des léopards. 1 km de reptations et d’efforts insensés avant d’atteindre le siphon, la surchauffe dans les néoprènes heureusement tempérée par l’eau glaciale… C’est bien connu : pas d’efforts avant la plongée. Sans parler de l’après !
Dernier obstacle : une « voute mouillante » de 50 m à traverser. Imaginez-vous la bouche collée à la voûte où ne restent que quelques centimètres d’air, luttant par ailleurs sans avoir pied contre un béton rouge qui cherche à vous noyer tandis que 3 sacs solidaires y sont fermement ancrés. Il est déconseillé de tousser !



Enfin nous pouvons nous rétablir dans la petite salle terminale où l’on tient assis. Devant nous une vasque turquoise : le siphon ! Vision éphémère avant que nos évolutions d’ours des cavernes ne la transforme en bol de chocolat. 
Le matériel est dans un état indescriptible. Les sangles glissent comme sur des savonnettes tandis que nous tentons d’associer les bi bouteilles. Quant au joints, la seule solution est le « sucé-craché » jusqu’à ce qu’on puisse y monter les détendeurs. De bonnes vieilles robinetterie INT, bien sensibles aux chocs, évidemment…
Mise en pression, palmes, masque et nous nous laissons glisser un par un sous l’eau opaque. Qui s’éclaircit bientôt, révélant la galerie de craie blanche de taille humaine, au sol couvert d’argile pulvérulente. Une visibilité rare, pour celui qui a la chance de passer le premier. Les suivants doivent progresser dans une eau absolument opaque où il est même impossible de lire les instruments. C’est ainsi que diverses équipes ont explorés 6 siphons consécutifs sur plus de 650m.
Lors d’une plongée solo, j’ai expérimenté le danger potentiel de telles conditions de visibilité. A l’aller, la progression est de vingt mètres par minute. Mais au retour, à tâtons, se cognant à chaque silex, suivant un fil d’ariane qui parfois se coincent dans des fissures infranchissables, la vitesse de progression ne peut dépasser 5m par minute. Ce qui a des conséquences importantes sur le temps de plongée et donc la consommation d’air. La sacro sainte redondance, la règle du tiers, devait être adaptée en règle du cinquième…


Le palais des congres
C’est lors d’une expédition en Sardaigne que j’ai découvert qu’une eau pouvait en cacher une autre. Dans la résurgence sous-marine de Cala Luna, sur la côte est, accessible seulement en bateau et où l’Equipe Cousteau avait plongé il y a bien longtemps.
Dès l’entrée, je dois écarter des bancs de mulets venus se soigner dans les eaux douces qui giclent sous pression, sous le niveau de la mer. Je remonte la rivière sur plusieurs centaines de mètres accompagné d’anguilles d’eau douce, dans de vastes galeries d’albâtre teintées du vert délicat de l’eau calcaire, parfaitement transparente. Vers moins quarante j’atteins le fond de la galerie qui semble se terminer en cul de sac sur un tapis de posidonies en décomposition. Mais en y regardant de plus près je remarque que ce tapis ondule comme une houle de fond. Il y a quelque-chose en dessous ! Palmes vers le bas, je descend prudemment. D’abord dans une couche opaque, puis dans une zone troublée par des volutes de réfraction différente. Et je dois purger pour descendre dans ce qui se révèle être la continuation de la galerie, noyée cette fois d’eau de mer, sous un ciel de posidonies venues là se cacher pour mourir. Au passage, les anguilles étaient devenus d’énormes congres…

Même phénomène en Australie, sous le désert du Nullarbor lors des plongées d’exploration à Cocklebiddy cave. Ou dans les sources de Floride, où l’on passe du thé, au lait, avant de découvrir l’eau la plus pure : plusieurs couches d’eaux superposées ; la sensation d’explorer un cocktail à étages. Dans les trous bleus des Bahamas où des fumerolles sous-marines de soufre dessinent les fascinants anneaux d’une bien étrange planète. Dans les cénotes mexicains comme Angelita qui se révèlent à double fond…


L’appel de la forêt
Mais le plus dépaysant pour moi reste le mariage de la mer et de la forêt, de l’océan qui se fait calanque dans la jungle odorante. A Komodo par exemple où nous remontions en voilier un fleuve au lit de corail, aux rives fleuries d’orchidées, sous le regard des cerfs, des buffles sauvages et des varans géants. Plus loin dans la forêt profonde, les cachalots chantaient…
A la frontière tanzanienne, au sud du Kenya, dans une réserve marine où les feuilles de palmiers dérivaient comme les épaves d’en haut sous le regard des murènes léopard…

Mais le moment est venu de vous raconter la plus terrifiante plongée de ma vie. Dans un mètre d’eau !



C’était en Guyane où je tournais une émission de la série « La route de l’eau » pour France 3. Une véritable expédition. En direction des Tumuc Humac, au coeur de l’Amazonie. Pour filmer la pêche traditionnelle des indiens qui empoisonnent des ruisseaux avec des racines toxiques et récupèrent le poisson en aval.
Nous avons pu louer une bouteille et des plombs à Cayenne. La plongée n’y est pourtant pas très répandue mais un assistant de production digne de ce nom fait toujours des merveilles. Après une centaine de kilomètres sur des pistes défoncées, nous sommes arrivés à Saint Michel de l’Oyapock avec la bouteille 12 l gonflée et tout le matos de prise de vue. C’est un cul de sac : Il n’y a plus de route au delà, hormis l’Oyapock où je suis censé tourner des images sous l’eau. Sur l’autre rive, le Brésil…

Nous remontons le cours du fleuve au milieu des rapides. Notre longue pirogue découpe l’écume comme un rasoir et, à chaque saut, dans le rugissement des moteurs, les vagues d’étrave dépassent le plat bord d’un bon mètre. Impressionnant. Mais le pilote indien est un as.
Après une heure de navigation, dans une moiteur étouffante, au milieu du grand fleuve de chocolat bordé de jungle, nous arrivons au pied d’une cascade. Transbordement sur la plage de granit ceinturée d’écume blanche vers une zone d’eau plus calme où je me mets à l’eau, bouteille sur le dos, caisson vidéo en main.
Me guidant sur une grande roche qui plonge dans l’écume, je descend, pieds en bas. Première constatation, on ne voit rien. L’eau est opaque, d’un beau ocre jaune. De temps à autre, des feuilles de jungle roussies apparaissent devant mon masque, tourbillonnant un instant dans le vortex des courants avant de disparaître. A « l’oreille », je descend jusqu’à trois mètres où mes palmes touchent un fond meuble, encombré de gros blocs. Que cachent ces eaux turbulentes ? J’ai surtout peur des raies venimeuses qui sont nombreuses ici. La piqure de leur dard est extrêmement douloureuse et s’infecte rapidement. Je n’ose même pas imaginer le retour, vers Cayenne, pour essayer de se faire soigner en cas d’accident… Mais, trêve de parano, si je suis ici c’est pour ramener des images pour le film ! Oui mais filmer quoi, dans ces conditions ? Eh bien je vais filmer de près. De très près même. Collé au rocher en fait, caméra dirigée vers le ciel où l’on distingue encore un soleil jaune qui palpite. Voilà un travelling descendant d’un mètre qui donnera l’impression de dévaler les falaises sous-marines de l’Amazone ! Tout en bas, dans un chaos de roches, je parviens à distinguer un ballet de crevettes. J’installe un phare à contre-jour et filme les crevettes collées à l’objectif. Les graviers se font rochers, les crabes, dragons de porcelaine : c’est féérique. C’est ainsi que dans un mètre carré à peine, par visibilité (presque) nulle, j’ai tourné les séquences les plus « chères » de ma vie.


Le monstre du fleuve
Mais nous n’allions pas nous arrêter en si bon chemin. En bordure de forêt, le fleuve formait des bras morts au milieu d’îlots de jungle et de mangrove. Sans doute des images à faire. Toujours en combi, je marche vers la ligne de mangrove, de l’eau à mi corps. Je pense aux raies… L’équipe est restée sur un rocher et je leur communique mes impressions à voix haute. Et soudain, on me voit (paraît-il) faire un bond démentiel et crier :
« Un énorme truc vient de me frôler ! »
C’est un fait que j’ai nettement senti un poisson (ou un reptile ?), très lourd, me percuter la jambe gauche avant de disparaître dans les remous. Rien vu ! Il y aurait donc des bestiaux de cette taille dans un mètre d’eau ? Je décide alors d’utiliser la technique du « lâché prise » (version zen du « sauve qui peut ») et de rebrousser chemin à reculons, contournant précautionneusement les raies supposées, comme m’extirpant d’un dangereux champ de mines.
Je garde un merveilleux souvenir de la Guyane et de ce reportage pour le moins original. Comme  celui dans cette mangrove de Bimini aux Bahamas où nous avons passé plusieurs heures entre les arches cellulosiques des palétuviers, à toréer avec des nuées de requins citrons.
Ou encore de ce petit raid en kayak sur le chemin du lac de pierre, à Palawan aux Philippines ; dans une autre mangrove où sévit l’un des plus grands prédateurs qui soit : le crocodile d’eau de mer « Porosus » qui peut atteindre 10m…
Mais ceci, comme disait un écrivain célèbre, est une autre histoire. Que je vous raconterais peut-être, un jour ?…

A propos de l'auteur



Francis LE GUEN

Photojournaliste, auteur et animateur de séries pour la télévision consacrées à la mer, écrivain et directeur de la collection "Carnets de plongée" chez Glénat. Plongeur-explorateur depuis près de 40 ans, fondateur du titre mensuel "Plongeurs International" et du magazine interactif "Plongeur.com", Francis est aujourd'hui un expert des nouveaux médias et anime des communautés virtuelles très actives.

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