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Mon ami Venturi

Publié le : 25/06/2018 - Auteur : Francis LE GUEN
Catégories : Histoires de plongée , Plongée tek , Voyages plongée

Mon ami Venturi

Je déroule le fil d’Ariane dans cette nouvelle galerie « aval » que je viens de découvrir. Aval parce que le courant me pousse. Je n’ai pratiquement pas besoin de palmer et les parois scoriacées de fossiles défilent, sans efforts. D’habitude, on explore les rivières souterraines depuis leur source à l’air libre, en remontant le courant. Pour savoir d’où l’eau vient. Mais il est parfois possible , au sein d’un système hydrologique, d’explorer ce genre de diffluence vers un mystérieux « aval », pour savoir où l’eau va … Je me suis déjà engagé de 600 m dans cette galerie dont la taille rétrécit, au point de rejoindre mes épaules. Les sédiments que je soulève au passage s’envolent et brouillent la visibilité devant moi. Comme un film à l’envers… La taille de la galerie a encore diminuée et je sens désormais nettement la force du courant. Et je réalise alors que je ne peux pas me retourner ! Et qu’il est même impossible de progresser en marche arrière. Trop tard… Je fais bouchon. Cramponné aux parois, j’ai déjà bien du mal à stopper cette folle course en avant. Le dévidoir lâché en urgence est happé dans le courant et déroule tout seul son fil dans l’inconnu, devant moi. Les tuyaux de détendeurs vibrent, mon masque se remplit d’eau, l’air s’échappe soudain en débit continu devant mes yeux. Je suis en route vers l’au delà …
Je me réveille brusquement dans mon lit, en eau, tremblant mais vivant ! Je l’ai fait souvent, ce cauchemar …

 

Dans « aventuriers » il y a « Venturi »
Rappelons les bases de l’effet Venturi : quand un fluide (roche en fusion, gaz, liquide…) circule dans un conduit étanche et que se présente un rétrécissement de ce conduit, la vitesse du fluide augmente. Et inversement. C’est tout simple. On remercie Giovanni Battista Venturi de nous avoir mis tout çà en équations dès 1796.
En plongée et plus encore en milieu clos, cela peut constituer un danger mortel, comme dans mon cauchemar. C’est ainsi que Georges Moïse avait été aspiré dans une perte aval du siphon de la Mescla, sous les yeux de ses camarades cramponnés à son corps, tentant de l’extraire du piège. En vain.
C’est également ainsi que beaucoup de plongeurs pro se sont fait aspirer dans des buses d’ouvrages… L’effet de ventouse se rencontre souvent sur les fuites du tablier d'un barrage, sur une paroi de piscine, de cuve, entre deux palplanches : On ne le voit pas mais si on se fait coller, on est mort. Une dépression correspondant à 1m d’eau est capable d’aspirer un gant ! Une de 10 cm dans une écluse peut plaquer un plongeur contre la porte, l’empêchant de se dégager…
En 2003, Martine Cotte, une plongeuse pro canadienne, est chargée d’inspecter les vannes d'un barrage afin de trouver des fuites. L’eau est glaciale. A 35m de profondeur, une fuite non détectée aspire soudain ses jambes ! Plaquée sur la paroi de béton, elle ne peut plus bouger !
En surface, c’est la panique. Ouvrir les vannes pour essayer de la faire passer par la turbine ? Dans certains cas, cette manœuvre a réussi… Faire descendre un autre plongeur ? Mais il risque lui aussi de se faire piéger… Ecrasée sur la paroi, en casque lourd et narghilé, Martine attend les secours… Elle attendra 3 horribles jours avant de mourir d’hypothermie et de déshydratation. Dès lors, pas d’autre solution que d’essayer de remonter le corps en tirant au treuil sur le narghilé prévu pour résister au minimum à une traction de 1.5 t. Mais seul le tronc est venu, le bassin et les jambes continuant à boucher la fuite…

 

Accouchement

Ma première confrontation avec ce phénomène eut lieu à la Douix de Châtillon sur Seine en Côte d’Or. Un très beau siphon, devenu un classique, où nous plongions par tous les temps. En particulier au printemps quand le courant était très fort. Au fond de la faille d’entrée, on atterrissait dans une petite salle polie devant un rétrécissement où le courant faisait s’envoler des galets ! Franchir le passage dans ces conditions était un sacré sport ! Derrière cet obstacle, la galerie noyée reprenait des dimensions imposantes et le courant ne se faisait plus sentir, à cause du fameux effet Venturi. Mais c’est au retour que les choses se corsaient, la plongée souterraine devenant hydrospeed. Il fallait bien refranchir le goulet mais cette fois avec le courant dans le dos. A quelques mètres de l’obstacle, déjà, les galets dansaient la farandole et l’on se sentait aspiré inexorablement vers le trou noir. Rester bien dans l’axe, faire le dos rond, lâcher prise… Rétrécir !… On était dans la machine à laver. Chocs sonores des bouteilles sur la roche, glissade forcée, accouchement brutal : on avait grand peine à garder son masque sur le visage et son détendeur en bouche au cours de l’expulsion. Nous étions fous ! J’en connais même qui sont sortis de l’aventure à moitié déculottés et au bord de la noyade…
Sous l’eau, et plus encore sous terre, ces variations de courant sont une réelle menace qu’il faut savoir prendre en compte. Combien de fois me suis-je attendu à les rencontrer ? Au fond d’un cénote vertical, au Mexique, qui peut assurer qu’on ne va pas déboucher dans une galerie active et se faire soudainement aspirer dans l’aval sans possibilité de retour ? C’est en 1977, au cours d’une plongée en première au Creux du Souci en Dordogne, que j’ai pris conscience de ce danger. Un plan d’eau immobile, regard sur l'Auvézère souterraine dont le cours actif n'a toujours pas été atteint. A -45 m, je tire mon fil le long d’une paroi, à tâtons, dans l’eau presque opaque, obscurcie de feuilles mortes en décomposition et d’argile pulvérulente. Il n’y a pas de courant ici mais je réalise qu’inévitablement il existe une rivière active, plus bas…
Et que dire des katavothres, véritables puits aspirants au fond de la mer Ionienne en Grèce, au pied du Mont Parnasse ? Sans parler de certains trous bleus des Bahamas où il faut soigneusement planifier ses plongées en fonction des marées : à la renverse des courants, il est impossible de sortir de la galerie !


Fontaine de Vaucluse
Nous sommes sur le tournage d’un épisode de l’émission « Au fil de l’eau » pour la chaîne Voyage, consacré à la Fontaine de Vaucluse. Hier, nous avons plongé et filmé dans l’immense galerie. Et je les ai vus ou plutôt sentis ces fameux « renards » qui aspirent les palmes ; ces petits conduits où les volutes de particules sont aspirées en tornades vers un au delà assourdissant. Et mortel.
L’émission est l’occasion d’expliquer le fonctionnement de la célèbre fontaine. En été, au fond de la « vallée close », la fontaine se présente comme un gouffre au fond duquel stagne un plan d’eau, trompeusement immobile. Et pourtant, en contrebas, au milieu des chaos de roches moussues nait une rivière en flots puissants de cristal : la Sorgue. C’est que dans les profondeurs de la source (précisément vers -40m) s’opère une diffluence : l’eau prend un raccourci et sourd dans des « renards », à travers failles et chaos de roches pour se frayer un chemin vers le jour. Qu’un plongeur se fasse prendre dans un de ces tunnels serait très hasardeux… On parle de millions de mètres cubes d’eau !
En hiver et au printemps, à cause de l’effet Venturi, la taille des « renards » ne permet plus d’évacuer toute l’eau et le niveau de la fontaine monte. Monte encore jusqu’au moment où l’eau atteint le seuil du déversoir et « crève », envahissant la vallée de son eau puissante et bleu turquoise.
Vous savez que j’affectionne à vous raconter des histoires de plongée qui se passent dans un mètre d’eau ? A l’heure où des Meniscus, des Swierzinsky, des Starnawski flirtent avec les 300 m et s’offrent des ballades de week-end à -250m, comme un déjeuner sur l’herbe du temps de Renoir ? Aujourd’hui, nous plongeons dans la Sorgue elle-même, au milieu des massifs de berle, plantes aquatiques d’un vert fluorescent. L’eau est translucide, l’ambiance superbe et nous nous laissons porter par le courant, tout en filmant. Je dispose d’un petit caisson Hi8 et René et son assistant du gros caisson Beta et nous dérivons en parallèle. Les prises s’enchainent et nous ne nous rendons pas compte que la profondeur a baissé et que le courant a augmenté d’autant. Les plantes défilent à toute vitesse. Je remonte pour jeter un oeil rapide en surface et ce que je vois me terrifie : nous sommes presque arrivés à la retenue, barrée par un mur à fleur d’eau d’où se déverse une cascade de plusieurs mètres !
Je signale le danger à René qui comprend, tout en m’engageant dans une branche de la rivière qui part sur la gauche. Le courant m’aspire et le sol plein de débris (les travaux de la retenue) défile. A une cinquantaine de mètres devant moi, je vois que l’eau s’engouffre sous un petit pont, en partie obstrué par des ferrailles et débris entremêlés. Si je me laisse entraîner jusque là, je vais être déchiqueté ! Avec l’énergie du désespoir, je parviens à saisir un fer à béton qui dépasse du fond. Et à stopper ma folle dérive. Dans un mètre d’eau… Empêtré dans mon matériel, je parviens tout de même à décapeler le bibouteille mais je dois garder dans l’autre main le caisson et l’éclairage qui risquent d’être entraînés. Et je me redresse, dans le torrent à mi poitrine, toujours cramponné d’une main à mon amarre, luttant contre le courant démentiel qui veut m’arracher au rocher.
« Une corde, vite ! »
Le réalisateur de l’émission et le preneur de son qui nous attendaient sur la rive ne comprennent pas la situation mais se ruent tout de même vers les véhicules pour ramener la corde.
Pendant ce temps là, ridiculement voûté à cause de ma position, je vois René et Jérémie négocier leur atterrissage sur le déversoir. Plus lourds que moi, il parviennent à se déhaler dans l’eau plus profonde sans basculer dans la cascade…
J’attends toujours la corde : nos véhicules sont garés loin… Je commence à fatiguer et une crampe me paralyse le bras. La corde arrive enfin.
« Noeud de chaise et envoyez ! »
Devant l’air ahuri de mes collègues, je comprends qu’ils n’ont pas été formés au matelotage. René et Jérémie ne peuvent rien pour moi, encore empêtrés dans les lourds équipements et en train de sortir de l’eau.
« Envoyez ! »
Je ne suis qu’à 10 m de la rive et après 3 lancés, je parviens enfin à saisir la corde. J’y attache d’une main bouteilles et caisson qui sont tractés jusqu’au bord. C’est mon tour… Je lâche tout et parcoure un grand arc de cercle dans l’écume, en apnée, tandis qu’on me remorque jusqu’au bord.
Derrière moi rugit l’eau de la Fontaine de Vaucluse. L’eau courante …

Bonnes plongées à toutes et à tous. Et je vous dis à bientôt, pour une nouvelle histoire de plongée …

A propos de l'auteur



Francis LE GUEN

Photojournaliste, auteur et animateur de séries pour la télévision consacrées à la mer, écrivain et directeur de la collection "Carnets de plongée" chez Glénat. Plongeur-explorateur depuis près de 40 ans, fondateur du titre mensuel "Plongeurs International" et du magazine interactif "Plongeur.com", Francis est aujourd'hui un expert des nouveaux médias et anime des communautés virtuelles très actives.

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