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Frayeurs sous la glace

Publié le : 20/02/2017 - Auteur : Francis LE GUEN
Catégories : Histoires de plongée , Voyages plongée

Frayeurs sous la glace

Les bulles d’air coulent sous le plafond de glace comme des rivières de mercure. Le trou que nous avons creusé diffuse un rai de lumière bleue, vertical mais partout ailleurs, c’est l’obscurité. On ne distingue pas le fond. Seul repère, cette voûte glaciale, écrasante, où nous glissons parfois comme des patineurs à l’envers. Et dans les pinceaux des phares, des transparences de bijoux, des chapelets de bulles d’air figées dans le cristal …

Nous sommes dans les Alpes, sous le lac de Tignes, en reportage pour Figaro Magazine. Et nous avons vu les choses en grand : un modèle, deux assistants, tous équipés en vêtements Viking rouges intégraux, avec des casques bulle Lama et des bi-bouteilles argentés. Le look est superbe. Nous avons installé sous l’eau un véritable studio avec des gros flashs synchronisés, fixés sur des broches à glace. Un espace éclairé où les modèles évoluent et prennent la pose selon le planning chargé de prises de vues, avec différents accessoires : gros thermomètre, couteau de commando, perforatrice pneumatique… Un synopsis à la "Rambo" !


Canon ou Nikon ?

Je ne me souviens plus exactement des péripéties qui ont fait que je me sois retrouvé pour ce reportage muni d’un Nikon dans son lourd caisson grand angle Amphibico …   Alors que je travaille toujours en Canon. Mais enfin, Nikon, Canon, c’est pareil, non ? Et de fait, les prises de vues s’enchaînent comme prévu. Plus d’une heure de plongée glaciale est nécessaire pour épuiser les 36 poses de la pellicule.

Au refuge, réchauffés, nous nous congratulons de cette belle séance photo tandis que, caisson ouvert, je procède au rembobinage du film. Mais au lieu de la résistance habituelle aux tours de manivelle, je n’entends qu’un agaçant "tic, tic". Qui ne peut vouloir dire qu’une chose : le film n’a pas été embrayé au chargement et la pellicule n’a même pas été exposée ! Mon inexpérience du système Nikon ne m’a pas permis de repérer ce dysfonctionnement. Erreur de débutant. Quand je repense à toute cette chorégraphie, tout ce travail d’installation, toutes ces photos uniques qui n’existent en fait que dans mon imagination …   Je suis terrassé et ne sais pas trop comment annoncer la nouvelle. Mais ma mine défaite a déjà parlé pour moi. Petit froid dans l’assemblée et puis j’entends :  Bon, au moins, on sait ce qu’on va faire demain !


Complètement givré !

Ayant pris du retard nous devons renoncer à une séquence qui, avec le recul (sans jeu de mot), m’est apparue quand même un peu risquée. Il s’agissait d’entrer sous la glace, d’y parcourir 300 m, et de creuser un accès vers la surface pour sortir, à l’aide d’un perforateur à explosion. Un engin initialement prévu pour percer les parois d’acier d’épaves pétrolières et y pomper le carburant. Portable bien que très lourd, blindé, cette arme conçue pour fonctionner sous l’eau tirait de véritables obus. J’imaginais déjà le geyser de glace, les belles images à faire, dessous et dessus …   Et dessus justement glissaient des escouades insouciantes de skieurs de fond qui échappèrent sans le savoir à cette Armageddon sous-marine.

A la place, pour valider le concept, je tente une plongée solo avec comme configuration un bi 2x10 litres dorsal et une 15 litres ventrale, tous équipés de détendeurs Poseïdon. Venu du monde de la spéléo, j’ai choisi une triple redondance. Du moins c’est ce que je crois, n’ayant pas pris en compte le facteur froid. 
Me voilà parti... Au compas, en déroulant le fil d’ariane. Une plongée souterraine dans une galerie immense, sans fond ni parois. Je me déplace dans une bulle de lumière bleue sous ce plafond éphémère de glace et de neige qui fondra au printemps mais qui m’enferme bel et bien au coeur de l’hiver.
A plus de 300 mètres du départ, je visse une broche dans le plafond de verre, attache le fil et fais demi tour. C’est à ce moment que, mentalement, je commence à penser au matériel. A reconstituer le chemin de l’air, comprimé puis brutalement détendu, dans chaque tubulure, chaque mécanisme, dans cet environnement à zéro degrés. Un risque réel de givrage, aggravé par la détente des gaz et la durée d’immersion ; une apparente mais fausse redondance …
A chaque changement de détendeurs, je dois purger une bouillie de cristaux de glace accumulés dans l’embout avant de respirer, parfois dans un hoquet. Je décide alors de ne plus respirer que sur un seul détendeur. Avec l’angoisse grandissante qu’il ne se bloque. Passer alors sur les détendeurs de secours ne servirait à rien : ils se bloqueraient sans doute aussi à la première inspiration. Mêmes causes, mêmes effets : croyant plonger en sécurité, avec trois bouteilles, j’étais en fait en mono …

Enfin, au bout du tunnel glacé, je suis en vue du puits de lumière bleue. La surface ! Heureusement, nous avions rechargé les bouteilles la veille sur place, en altitude. C’est probablement ce qui m’a sauvé. Si j’étais parti avec des bouteilles gonflées avec de l’air plus humide, les trois détendeurs auraient sans doute gelés en même temps …


Plongées en Laponie

Une mésaventure vécue plus tard, à 200 km au nord du cercle polaire, en Laponie suédoise lors du tournage du film Nuit Blanche. Dans la nuit zébrée d’aurores boréales, sous la glace du lac TornTräsk, nous sommes en train d’installer le fil et les éclairages à une vingtaine de mètres du trou quand mon détendeur se bloque soudain. Au moment de respirer sur l’autre, il m’explose littéralement en bouche avant de givrer, me provoquant au passage une légère surpression pulmonaire. J’en serais quitte pour cracher le sang pendant quelques jours. Mais encore faut-il sortir. En apnée …

Ventre collé à la glace, je me déhale avec les mains, gardant bien en vue l’orifice d’accès que les collègues doivent sans cesse dégager : dehors, il fait -40° C ! Dans ce genre de situation, ce sont toujours les derniers mètres les plus longs …   J’aspire enfin un grand bol d’air. Frais.
L’eau douce du lac est à -1° C, maintenue en surfusion par la pression de la glace. Je me déséquipe, ôte les sangles mais le bi reste collé à mon dos, soudé par la glace. Nous constatons alors que les robinetteries et les premiers étages des détendeurs sont pris dans des boules de glace vive de 15 cm de diamètre !

Dans ces conditions, tout devient problème : inflateurs des vêtements étanches bouchés de glace,  embouts givrés ; jusqu’à ce masque à demi empli d’eau par la force de l’habitude et qui gèle instantanément. Ma vitre droite s’en trouve corrigée par un gros dièdre de glace, impossible à faire fondre par ces températures négatives ni dehors ni sous l’eau… Après avoir mis en oeuvre tous les dispositifs anti-givre connus, nous en viendrons à nous badigeonner mutuellement avec les flammes de chalumeaux à propane avant chaque plongée !


Septentrion

Mais en matière de plongée sous glace, les incidents ne sont pas toujours dus à l’immersion. Nous voici au Lac de Matemale, à la station des Angles, dans les Pyrénées orientales. Sur le tournage d’un épisode de l’émission Bleu Clair. Assis sur la glace, les pieds dans l’eau, je pérore devant l’équipe France 3 qui a planté sa caméra à quelques mètres du trou. Puis, je me laisse glisser dans l’eau avec la caméra sous-marine pour enchaîner la séquence. Et je réalise alors que la couche de glace est dangereusement fine : quelques centimètres à peine ! Avec 4 techniciens bien nourris du service public posés dessus !
Je n’ai pas le temps d’ôter mon détendeur pour dire "Reculez un par un… Lentement" 
Trop tard : dans un sombre craquement, toute l’équipe descend d’un cran et se retrouve les pieds englués dans la vase, de l’eau jusqu’à la poitrine. Par chance, nous étions très près du bord en eau peu profonde mais voilà comment une émission tombe à l’eau.

Nous avons eu chaud aussi dans la faille de Silfra en Islande, lors du tournage du film Septentrion. L’eau est à + 1° C mais absolument translucide et nous descendons dans cette faille tectonique, entre les orgues de basalte, dans un chaos de roches noires. Vers moins 30 m, alors que je viens de négocier un passage étroit, un de mes détendeurs se met à fuser en débit continu. Le champ de vision n’est plus qu’un geyser de bulles et nous remontons in extremis…




Nous tournons à présent sur la côte ouest du Groenland, dans un champ d’iceberg. A l’aide d’un sondeur 3D, l’un de nos guides danois en a choisi un "petit" qui semble ne pas présenter de dangers d’effondrement. 
Nous descendons sur le flanc de l’iceberg creusé de profondes cannelures bleu turquoise. Un phoque passe. De temps à autre, des craquements très impressionnants se font entendre : l’iceberg est en sursis. Une morue arctique nous entraine dans son sillage lent et nous nous retrouvons rapidement dans les -20m. Lors du brief, on s’était bien promis de ne pas dépasser -10m …

C’est alors que je découvre une petite galerie qui plonge dans le noir, nous incitant à entrer au cœur de l’iceberg. Un regard au reste de l’équipe : nous sommes d’accord …   Au fil, nous avançons et pénétrons dans une grande salle bleutée. La voûte est creusée de cupules régulières et les éclairages y font naître des fantômes de transparence. Et des mirages : l’eau de fonte qui se dilue dans la mer. Dix minutes passent dans ce palais des glaces où nous essayons de boucler toutes les séquences nécessaires. 

Un autre tunnel part sur la gauche. Au bout, il me semble apercevoir la lumière. Nous allons traverser et ressortir par là ! Mais une mauvaise surprise nous attend quand nous retrouvons l’eau libre, de l’autre côté de l’iceberg : la surface est couverte de glaçons qui dérivent et dansent dans la houle. Des blocs de plusieurs tonnes qui nous écraseraient si on tentait de se faufiler au milieu d’eux…
La plongée "souterraine" continue, en quête d’un espace d’eau libre, en espérant avoir assez d’air pour l’atteindre. Nous finirons par émerger au milieu des "growlers" et la récupération des plongeurs fut ce jour là assez acrobatique.

Bonnes plongées à toutes et à tous. Et je vous dis à bientôt, pour une nouvelle histoire de plongée …

A propos de l'auteur



Francis LE GUEN

Photojournaliste, auteur et animateur de séries pour la télévision consacrées à la mer, écrivain et directeur de la collection "Carnets de plongée" chez Glénat. Plongeur-explorateur depuis près de 40 ans, fondateur du titre mensuel "Plongeurs International" et du magazine interactif "Plongeur.com", Francis est aujourd'hui un expert des nouveaux médias et anime des communautés virtuelles très actives.

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