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Les secrets d’un tournage au lac Malawi

Publié le : 21/11/2016 - Auteur : Francis LE GUEN
Catégories : Histoires de plongée , Plongée loisir , Voyages plongée

Les secrets d’un tournage au lac Malawi

La détonation nous fait tous sursauter sous l’eau : un coup de fusil de chasse !? Nous restons un moment figés, nous attendant à recevoir le ciel sur la tête. Nous plongeons pourtant en eau libre, au milieu des nuages de poissons multicolores du lac Malawi en Afrique. Sur le site de Zim Rock, un curieux récif strié qui ressemble à un encéphale de pierre dans l’eau couleur jade.
 


Nous sommes en repérage pour une séquence de l’épisode "L’or bleu sous les sables" de la série Carnets d’Expédition que nous réalisons pour Discovery Channel. Quinze jours avant que le gros de l’équipe n’arrive pour tourner les images sous-marines. Ce n’est pas de trop pour préparer la logistique, surtout en Afrique, et pour sélectionner les sites intéressants pour l’image, de façon à ne pas perdre une minute lors du tournage. C’est ainsi que nous avons établi nos quartiers à Chembe, petit village de pêcheurs entre plage et montagnes de granit, au sud du lac Malawi, sur la péninsule et réserve naturelle du Cape McClear.

L’un de nos acteurs sera Kenneth MacKaye qui réside ici une partie de l’année. C’est le spécialiste mondial des cichlidés, ces poissons d’eau douce endémiques de certains lac d’Afrique et dont les couleurs incroyablement changeantes permettent de constater à l’oeil nu l’évolution en marche, d’une génération à l’autre. Poissons qui constituent aussi la principale source d’alimentation des locaux qui pêchent en pirogues, de nuit, au lamparo. Une population par ailleurs décimée par le SIDA et la Bilharziose. Un charmant parasite qui pond ses oeufs à travers la peau humaine après un séjour dans un minuscule escargot aquatique… En principe, il ne faudrait pas se baigner. Quant à plonger…

Kenneth Mc Kay


L’épave du lac

Pourtant, nous avons choisi Chembe parce qu’il y existe un club de plongée ! En visitant les lieux nous constatons qu’Il y a bien des bouteilles, un compresseur, une barque à moteur mais on sent que tout cela ne sert pas trop souvent. Je chasse une grosse mygale de la table des cartes et nous faisons le planning du lendemain avec Wilson, un sympathique colosse chauve qui sera notre guide. On raconte ici la légende d’un mystérieux bateau qui referait surface de temps à autre, à la nuit tombée… Voilà qui est bon pour le film. Et justement, Wilson connait une épave mystérieuse qui gît par 30m au fond du lac ! Reste à la retrouver.

Au matin et sous un ciel déjà chauffé à blanc, nous sillonnons en barque la rive ouest à la recherche des amers. C’est alors qu’une grosse mouche brune vient atterrir sur le haut de mon bras. Et me pique à l’instant où j’allais la chasser ! Je fais un bond qui fait tanguer la barcasse mais Wilson me rassure, rigolard sous sa casquette :

   - Tsi tsi fly !

La mouche Tsé Tsé, responsable de la maladie du sommeil… La douleur est semblable à une piqure de guêpe mais je l’enferme dans la combi : nous sommes arrivés.
Nous descendons à l’aveugle dans un nuage de bulles de jade : je me guide à la respiration de Wilson qui fonce vers le bas, déjà invisible. C’est assez long, trente mètres dans l’eau chargée. Le fond semble s’obscurcir soudain, passant du vert bouteille au noir. Puis s’éclaircit d’un seul coup : nous sommes au fond, l’épave est là. Posée sur sa quille dans un fond de sable ridé, propre. Agenouillé, je reste un moment à contempler la silhouette du bateau, à contre jour dans la brillance du soleil lointain. C’est un petit bateau, moderne mais qui me semble bien pouvoir porter les rêves et les légendes d’Afrique.
Entre sable et tôle nous repérons les barbillons de gros poissons chat. Un peu plus loin, des anguilles électriques. Les cales sont emplies de bancs de poissons qui explosent dans nos phares. Après quelques contorsions, nous débouchons dans le poste de pilotage encore en partie vitré. A la barre, je jouis d’une vue imprenable sur les profondeurs du Malawi. Avec cette douleur lancinante à l’épaule… Il est temps de s’arracher du fond, laissant derrière nous l’épave qui pétille encore un peu.
Maladie du sommeil… Toute la nuit, je tâterais mon éruption cutanée, cherchant à sombrer…


Naufragés à l’envers

Les plongées s’enchaînent. Dans les failles profondes, verticales et noires, vallée du rift engloutie. Dans les chaos de roches arrondies comme des galets géants, rouillés ; une ambiance ocre rouge, où nous perdons parfois la lumière du jour. Où d’étranges espèces de crustacés grouillent entre les barbillons de monstrueux silures…
Jusqu’à cette plongée de Zimbabwe Rock, loin au large, particulièrement riche en espèces de poissons et au relief si particulier. Remontant des 25m, nous avons fait le tour du "crâne" et avons retrouvé coincé dans une faille l’énorme corps mort qui sert d’ancre au bateau. Avec un tronçon de chaîne brisé net. Le coup de fusil …

Que s’est-il passé ?  Une rafale de vent, une grosse houle soudaine ?  Il y a parfois de tels "coups de chien" sur le lac Malawi. Toujours est-il que là haut, la barque a sans doute failli chavirer. Nous faisons surface. Plus de bateau ! Trois plongeurs, stab gonflée, au milieu d’un des plus grands lacs du monde. Seuls. Au moins nous ne mourrons pas de soif !
Par chance un petit îlot de roches arrondies fait le gros dos à quelques centaines de mètres de là. Nous mettons le cap dessus et parvenons à nous hisser au sommet en charriant plombs et bouteilles. Dans la bataille nous réussissons à perdre une palme et un tuba, happés dans une faille étroite. Ca, c’est fait !
On aperçoit bien la rive sud, dans le lointain, mais je me doute que personne ne voit nos signes frénétiques des bras. Aucun de nous n’a de fusées de détresse ni un quelconque moyen de communication. De toute façon, des fusées tirées dans ce coin d’Afrique seraient prises pour un feu d’artifice ou une attaque de rebelles …
Rentrer à la nage ?  A cette distance, avec une palme et un tuba en moins ?  Avec la nuit qui approche ?
Attendre ici ?  A trois mètres au dessus de l’eau tandis qu’un avis de tempête gronde à l’ouest ?  Je sais que notre petite île de granit est en zone inondable… Une heure passe. Nous séchons.

Le bruit d’un moteur nous tire de nos méditations. Un bateau qui approche !  Qui fonce à quelques centaines de mètres parallèlement à nous, sans même tenter de nous récupérer, jugeant sans doute notre position enviable. Sans nous avoir même vu ni entendu peut-être. Nous apprendrons plus tard que notre barque, après avoir cassé sa chaîne, était partie à la dérive vers le Tanganyika, le moteur n’ayant jamais voulu repartir… Et que ce bateau allait à leur secours.

Le lac Malawi


Nage forcée en Bretagne

Sous le cagnard de la fin d’après midi, j’ai tout le temps de me remémorer les aventures semblables survenues à ces plongeurs abandonnés par leur bateau avec une issue parfois heureuse mais souvent tragique.
J'ai relaté dans le livre "Narcoses" cette longue dérive d’une palanquée à Komodo, en Indonésie, terminée sur une plage, à la merci des varans géants …
Les yeux rivés dans l’eau verte qui cerne notre "île", inévitablement, je repense à la Bretagne de mes débuts. A sa pulsation profonde. Ses laminaires, cocotiers des mers froides plantés dans le sable coquillier. Leur pied fermement cramponné au sol et la tête ondulant au gré des inspirations aquatiques, dans les galaxies planctoniques …  Ma première plongée à l’âge de huit ans s’est déroulée sous de telles frondaisons, peignées par un courant de 8 nœuds …
Et cette fameuse plongée à 35 mètres, où nous nous étions retrouvés en pleine mer ?  Seuls en surface. Sans bateau. Ou plutôt si !  Ludionnant entre les vagues, il nous apparaissait de temps à autre, minuscule, à l’horizon. Embrayage bloqué …  Quant à la côte, elle disparaissait sous la brume. Mon frère et moi même étions bien novices pour affronter la nage forcée de plusieurs heures qui nous attendait. Un sacré rite de passage. Mono 12 litres sur le dos, bouée collerette "Fenzy", "JetFins", tuba et, en avant !  Nous avions une confiance aveugle dans notre moniteur, issu de la Marine Nationale et qui nous ramenait à la côte au compas. Nous étions en vue des dunes quand on est enfin venus nous chercher, mollets raides, lèvres bleues et doigts crochus (on plongeait sans gants dans ces années là ...).


Bien Malawi ne profite jamais !

Au Malawi, la nuit est tombée d’un seul coup, dans une apothéose de violets. De notre côté, cormorans sur notre rocher, la situation ne s’améliore pas. La nuit va être longue, d’autant qu’il n’y a pas assez de place pour s’allonger et que j’apprécie moyennement les ceintures de plomb comme coussins. 
Des lumières s’allument, au village, traçant une ligne de vie loin à l’horizon. Nous nous relayons pour faire des signaux avec nos lampes étanches.
Les yeux perdus dans l’encre, je délire. Hypnotisé par cette ligne de lumière comme un espoir dans la nuit, j’imagine une luciole qui s’en détache, puis deux, puis dix. Je les vois qui approchent. Sortilèges de l’Afrique… Et puis nous entendons les brouhahas, les clameurs, et voilà des pirogues à moteur, étroites, munies sur l’avant d’un support où brûlent quatre lampes à pétroles : les lucioles des pêcheurs au lamparo !

Un à un, nous embarquons au milieu des filets, sans chavirer. Quels marins ces hommes rieurs qui n’ont jamais connu la mer ; si j’ose écrire, nous leur devons une fière chandelle. Ils nous ramènent à la côte où l’aventure fait sensation. Comme on dit, tout est bien qui finit bien. Demain, nous filmerons les babouins …

Aujourd’hui nous n’avons jamais eu autant de moyens de communication à disposition mais qu’en est-il de notre activité ?  Nous connaissons tous ces histoires de plongeurs abandonnés par leur bateau, décédés en surface après plusieurs jours ou semaines de dérive. Il faut faire quelque chose pour améliorer la sécurité à ce niveau !  Il ne serait pas ridicule d’équiper chacun d’un VRAI kit de survie et de balises type Argos pour faire face à de telles situations. Encombrant ?  Allez dire çà aux plongeurs Tek ! :-)

Au fait, n’oubliez pas d’enrichir votre panoplie d’un couteau et d’un compas, c’est déjà çà et ça peut vous sauver la vie …

Bonnes plongées à toutes et à tous. Et je vous dis à bientôt, pour une nouvelle histoire de plongée …

A propos de l'auteur



Francis LE GUEN

Photojournaliste, auteur et animateur de séries pour la télévision consacrées à la mer, écrivain et directeur de la collection "Carnets de plongée" chez Glénat. Plongeur-explorateur depuis près de 40 ans, fondateur du titre mensuel "Plongeurs International" et du magazine interactif "Plongeur.com", Francis est aujourd'hui un expert des nouveaux médias et anime des communautés virtuelles très actives.

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